7 mars 2011

Tropico, ou comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer El Presidente

Tu es un démocrate convaincu ? Tu aimes être aux petits soins de tes peuples virtuels dans les jeux de gestion ? Tu te sens humaniste dans l'âme ? Voir à la télévision tes frères humains oppressés par des cinglés te fait couler une petite larme ?

MOI NON PLUS !

Aujourd'hui, je vais te tenir la jambe sur Tropico, un jeu de gestion sur PC, développé par PopTop Software (qui réalisa Railroad Tycoon II et III, les connaisseurs savent de quoi je parle) en l'an de grâce 2001. Tropico, c'est un peu l'anti-Sim City ou l'anti-Civilization, blindé d'humour noir et d'un cynisme à tout épreuve. Ici, trêve de maire bien intentionné ou de leader de civilisation éclairé. Dans Tropico, tu es le dictateur d'une république (bouarf, arf, arf !) perdue dans les Caraïbes en pleine Guerre Froide. Élections truquées (ou pas d'élections du tout), répression et arrestations juste pour le fun, détournements de fonds publics, c'est toi qui décides, point barre ! Viva El Presidente !

(Note : pour donner un genre, les titres de sections de cet article sont en espagnol, bien que je n'ai pas la moindre notion de cette langue. Si un hispanophone pure souche passe par là et qu'il constate que j'ai fait des fautes, qu'il n'hésite surtout pas à se manifester, gracias)

(Note 2 : la version du jeu dont je parle dans cet article est la version Gold, qui inclut l'extension Paradise Island. Voilà, c'est tout.)

Cette fois-ci, pas de légendes stupides sous les images, promis.


Mi vida como un dictador

Toute partie commence immanquablement par la création de son propre tyran bien à soi (ou la sélection d'un dictateur pré-généré) : choix de son origine (mineur, généralissime, Harvardien, auteur gauchiste, etc), sa glorieuse montée au pouvoir (coup d'état fasciste, mise en place par le KGB, "achat" des élections ou... élection ordinaire, mais franchement, qui voudrait ça ?), puis choix de deux qualités et de deux défauts.

Pour exemple, voici un modèle de Presidente :
- Universitaire d'Harvard (meilleures relations avec la faction capitaliste et les USA, effet inverse avec l'URSS)
- Mis en place par la CIA (idem, plus traite annuelle versée par l'oncle Sam)
- Qualités : Travailleur (+10 % à la production générale) et Administrateur (bonus à l'enseignement et réduction des coûts de construction)
- Défaut : Coureur de jupons (respect des femmes et de la faction religieuse moindre) et Menteur invétéré (respect des factions religieuses et intellectuelles moindre)

Et nous voilà bombardé à la tête de la nation tropiquéenne, en remplacement de votre prédécesseur décédé d'une intoxication alimentaire. Probablement. En fait de nation, Tropico consiste généralement en quelques bidonvilles, un port pour l'export des marchandises et l'arrivée des immigrants, un bureau de construction et... le palais. Palais qu'il faudra bien protéger, surtout si on n'a pas l'intention de régner avec des gants.


Infinita Tristeza

Très vite, le tyran en herbe comprendra que la clé du succès dans la politique de Tropico est le compromis. Compromis dans le budget tout d'abord, puisque vous décidez de tout en matière de constructions : l'implantation du tourisme,  de l'industrie, de la production agricole, de l'exportation... En résultent de sempiternelles interrogations : quelle somme consacrer aux habitations ? aux infrastructures ? ... au fond de retraite présidentiel ? Faut-il augmenter les salaires maintenant pour diminuer la grogne prolétaire ou économiser pour construire un ministère des affaires étrangères afin d'améliorer ses relations avec le monde extérieur ?

Mais surtout compromis avec les factions. Car votre république bananière est livrée automatiquement avec six groupements politiques : les religieux (qui n'aiment rien tant que les belles églises et les autodafés), les intellectuels (qui veulent surtout un haut niveau de liberté et un enseignement de qualité), les militaristes (... à ton avis ?), les écologistes, les communistes et les capitalistes.

Chacune, donc, aura ses exigences et soutiendra El Presidente en fonction de la façon dont elles auront été exaucées. Et, bien sûr, il sera impossible de plaire à tout le monde... Comme en vrai, hein ? Constituer une grosse armée pour obtenir le suffrage des militaristes fera perdre le soutien des intellectuels qui y verront l'instauration d'un état policier. Implanter moult industries afin d'améliorer l'économie et ainsi mieux s'entendre avec la faction capitaliste coûtera beaucoup de popularité auprès des écolos. Diminuer la disparité des salaires pour que les camarades cocos puissent se réjouir mettront les adeptes de Adam Smith hors d'eux.

C'est que c'est du boulot d'être un salaud...




Era una vez... la Guerra Fria

En bref, l'île de Tropico est un fameux merdier en matière de politique intérieure, mais rassure-toi, le front extérieur n'est guère plus riant. Comme mentionné précédemment, l'arrivée au pouvoir du joueur se fait en pleine Guerre Froide. Aussi, en plus de devoir gérer des factions à couteaux tirés, devra-t-on tirer son épingle du jeu de l'opposition USA/URSS. Le conflit se manifestera principalement par une aide étrangère plus ou moins élevée en fonction de la politique suivie par le dirigeant tropiquéen en place : les Yanquis soutiennent un Tropico démocratique (avec des vraies élections et tout) pourvue d'une faction capitaliste satisfaite, tandis que la Russie Soviétique favorise une nation qui a tout les atouts d'un état socialiste (... ou le plus possible). Et là encore, un minimum de discernement sera vital, car faire trop le malin résultera en l'invasion de l'archipel, ni plus ni moins !

Il est cependant possible, pour le joueur craignant une ingérence étrangère trop hostile, de conclure une alliance avec l'une des deux superpuissances, laquelle se manifeste en l'installation d'une base militaire (avec missiles nucléaires, naturellement) sur la petite île. Inutile d'espérer un coup de main soviétique ou occidental en cas de rébellion, toutefois, le seul intérêt des deux camps envers Tropico est clairement d'empêcher l'autre de poser ses pions atomiques dessus afin d'obtenir un avantage dans leur étrange jeu d'échecs radioactif.

En résumé et pour paraphraser l'élégante formule de Sergio Leone, si tu veux survivre : giù la testa, coglione ! Ah, attendez, ça c'est de l'italien.



Nadie espera que la inquisición tropicana !

Tiens, tant que j'en suis à parler des conséquences de ses actes... Toute action dans Tropico entraînant réaction, ne vas pas imaginer que tu vas pouvoir régner avec les mains trop libres.

S'il est possible (et très amusant) de faire enfermer, ou abattre en pleine rue, toute forme d'opposition,  de garnir son compte en banque en Suisse avec les deniers du peuple, d'instaurer des lois absurdes, de se maintenir en place en interdisant toute élection, d'instaurer la loi martiale, bref, de se proclamer le fils spirituel de Khadafi, il faut bien se douter que cela ne se fera pas sans la montée d'un ressentiment dans le bas-peuple. En effet, un Che Guevera sommeille dans chaque Tropiquéen, et une goutte d'eau de trop dans le vase de la violation des droits de l'homme pourrait bien déclencher une révolte. De bons citoyens se métamorphoseront alors subitement en guérilleros à béret rouge et disparaitront dans la jungle, dont ils ressortiront ponctuellement pour faire péter des bâtiments et tuer quelques-un de tes fidèles soldats au nom de la libertad !

Ah oui, l'armée, j'allais oublier... Tout apprenti râleur autoritaire qui aura pris soin de réviser ses leçons d'histoire d'Amérique du Sud s'assurera en permanence que ses fonctionnaires militaires soient grassement payés. Il ne faudrait pas que votre seul soutien solide en cas de révolution flanche... Ou qu'il organise lui-même la destitution d'El Presidente !

Au joueur de décider s'il veut combattre ces élans de subversion par la répression ou la prévention, ou même en endormant le peuple par le bon vieux panem et circenses, qui décidément est toujours aussi populaire depuis la Rome antique.




Utopía justifica los medios... ¿no?

Tropico est un jeu unique dans bien des sens. Franchement, c'était quand la dernière fois que t'as vu un jeu où on peut martyriser le peuple dont on est sensé être responsable ET en être récompensé ? Ouais, absolument. C'était quand la dernière fois que t'as vu un type se faire flinguer en pleine rue, et que tu ne t'es pas senti mal à l'aise d'avoir ri ? C'était quand la dernière fois que t'as joué à un jeu vidéo à l'humour tellement noir que t'en ris jaune ? Tiens, et d'ailleurs pourquoi on rirait jaune à de l'humour noir ? C'est une histoire de contraste ou un truc comme ça ?

Mmmh, oui, bref. Un jeu unique donc, et hallucinant tant par les possibilités offertes par son gameplay complexe mais simple d'accès que pour son cynisme hilarant. Et aussi parce qu'on peut y mettre des écolos en taule en toute impunité. Et ça, ça n'a pas de prix.

4 commentaires:

  1. D'ailleurs Tropico III est sortit et disponible depuis quelques mois (avec son extension). Le principe est toujours le même, mais le jeu est bien plus joli, et c'est toujours aussi fun d'incarcérer cette vermine humaine éprise de liberté..

    RépondreSupprimer
  2. Ah oui, je l'ai essayé et il est plutôt sympa.

    Tropico deuxième du nom n'était pas terrible, par contre.

    RépondreSupprimer
  3. Et la bande-son ? Elle est pas chouette, la bande-son ? On est loin des musiques jolies mais affreusement lancinantes et répétitives des Settlers, mon petit monsieur. Blue Byte nous a concocté une set-list de standards Sud-Américains dont personne ne connaît les titres mais qui vous donnent instantanément envie de vous mettre un panama sur la tête et de vous préparer un Cuba Libre avant d' appuyer sur start!
    Côté jeu, je ne l' ai que depuis hier, et je dois avouer que je m'y suis très mal pris : J' ai été GENTIL. J' ai voulu ménager la chèvre et le chou, tendre la main à ce peuple tropiquéen tous si mignons avec leurs grands yeux humides...Et je me suis fait Caramba !
    Mais à la lecture de ce blog, je vais tout de suite reprendre les choses en main, à commencer par faire assassiner le premier qui se présentera aux élections contre moi, tiens !
    Le temps d' enfiler un treillis et de m' allumer un cigare et je m' y met !
    Je vous enverrai des cartes postales, bises.

    RépondreSupprimer
  4. J'ai dit Blue Byte ? Moi ? Maiiiiis non, je voulais écrire Pop Top Software, mais j' y voyais mal à cause des lunettes de soleil, voilà tout.
    ERRARE GEEKUM EST

    RépondreSupprimer

L'auteur de ce blog se réserve le droit de supprimer sans la moindre pitié les commentaires insultants et/ou offensants, le spam, les trolls, les messages trop mal écrits ainsi que les adorateurs d'Alain Delon.
Le second degré est -de toute évidence- accepté, mais pas autant que les cartes VISA.